
La tentation du contrôle absolu hante les sociétés modernes. Face aux obligations de conformité, bon nombre de dirigeants imaginent qu’un screening systématique de l’ensemble des tiers constituerait l’unique rempart contre les risques de corruption. Cette quête d’exhaustivité relève pourtant davantage de l’illusion sécuritaire que de la véritable maîtrise des enjeux. L’intelligence ne réside pas dans la multiplication des contrôles, mais dans leur pertinence. Qualifier vos partenaires sans recourir à une évaluation indifférenciée suppose d’accepter une vérité simple : tous les tiers ne présentent pas la même exposition aux menaces. Voici donc tout ce qu’il faut savoir à ce sujet.
Adoptez une approche par risque pour qualifier vos tiers
La loi Sapin 2 ne prescrit nullement un examen uniforme de toutes vos relations d’affaires. Elle exige une démarche proportionnée, ancrée dans la réalité de votre exposition au risque de corruption. Cette nuance transforme la manière dont vous devez concevoir l’évaluation de vos tiers. Plutôt que de soumettre chaque partenaire à un screening identique, vous construisez une cartographie qui hiérarchise les priorités selon des critères objectifs.
Cette méthodologie repose sur une analyse préalable de votre environnement. Quels secteurs d’activité génèrent les vulnérabilités les plus significatives ? Quelles zones géographiques présentent des indices de corruption élevés ? Quelle nature de transaction implique des intermédiaires susceptibles de dévier vers des pratiques douteuses ? Autant de questions qui précèdent toute due diligence et qui déterminent le degré de vigilance à déployer.
Un fournisseur local de fournitures administratives ne requiert par exemple pas le même niveau d’examen qu’un distributeur qui opère dans des pays à risque élevé. L’approche par risque vous libère ainsi du fardeau bureaucratique tout en renforçant votre efficacité. Concentrer vos ressources sur les tiers qui présentent une exposition substantielle vous permet d’approfondir réellement les vérifications là où elles importent. La conformité devient alors un exercice de discernement plutôt qu’une procédure aveugle.
Les critères essentiels de segmentation des partenaires
Des outils comme ceux proposés par Values Associates facilitent la mise en œuvre d’une cartographie des risques tiers, afin de prioriser l’évaluation selon le niveau d’exposition spécifique à chaque relation. La segmentation de vos partenaires ne saurait néanmoins résulter d’une formule mécanique. Elle procède d’une réflexion stratégique qui croise plusieurs dimensions d’analyse. La nature même de la relation commerciale constitue un premier filtre. Un agent commercial qui travaille à la commission dans des marchés publics sensibles appelle une vigilance autrement plus soutenue qu’un prestataire de services purement techniques.
De plus, le montant des transactions, leur fréquence et leur complexité influencent directement le niveau de risque. Un partenaire avec lequel vous entretenez des flux financiers substantiels et réguliers mérite un screening approfondi, tandis qu’une collaboration ponctuelle et de faible valeur peut se satisfaire d’une évaluation allégée. La réputation et l’historique du tiers entrent également en ligne de compte. Un partenaire établi de longue date, transparent dans ses pratiques, ne présente pas le même profil qu’une société récemment créée aux structures opaques. Votre segmentation doit intégrer ces éléments qualitatifs qui, sans être quantifiables, révèlent des signaux d’alerte ou au contraire des gages de fiabilité.

Quelles méthodes alternatives au screening exhaustif ?
Renoncer au screening systématique ne signifie pas abandonner toute vigilance. D’autres méthodes, plus ciblées et plus révélatrices, offrent des garanties de conformité adaptées à chaque catégorie de risque. Pour les tiers classés à risque faible ou modéré, par exemple, un questionnaire d’auto-évaluation accompagné de déclarations sur l’honneur peut suffire. Cette approche responsabilise vos partenaires tout en documentant votre démarche de due diligence.
Vient ensuite l’analyse documentaire proportionnée. Plutôt que de solliciter d’emblée des rapports complets sur l’ensemble de vos relations, vous demandez des justificatifs ciblés, comme des extraits de registres officiels, des attestations fiscales ou des références professionnelles. Ces documents, s’ils sont vérifiés avec rigueur, vous procurent une vision suffisante pour vos partenaires à exposition limitée.
Enfin, la surveillance continue représente sans doute l’innovation la plus prometteuse. Au lieu de concentrer toute votre évaluation sur un contrôle initial potentiellement obsolète dès sa réalisation, vous instaurez une veille régulière sur les changements de situation de vos tiers. Cette logique dynamique, fondée sur des alertes automatisées concernant des modifications de structure juridique, des sanctions ou des signalements médiatiques, transforme votre conformité en un processus vivant. Le risque évolue ; votre vigilance doit évoluer à son rythme.
Qualifier vos tiers sans recourir au screening systématique relève ainsi moins de l’économie de moyens que de la sagesse stratégique. L’approche par risque, en substituant le discernement à l’automatisme, vous rapproche de l’esprit véritable de la loi Sapin 2 : bâtir des relations d’affaires durables et sécurisées sur la base d’une bonne compréhension des enjeux. La conformité ne se mesure pas au nombre de contrôles effectués, mais à leur pertinence et à leur capacité à prévenir réellement la corruption. Vous n’avez pas besoin de tout vérifier, mais vous devez vérifier ce qui compte.